Entre Nous

24 juillet, 2016

Bistrot

Bistrots, des monuments nationaux à conserver!

Le comptoir parisien, un vrai sujet d’étude

Thomas Morales

Thomas Morales
est journaliste et écrivain…

Publié le 09 avril 2016 / Culture Société

pierre boisard paris bistrot

Enfin un sociologue qui explique les bistrots et excuse leurs habitués ! La culture de l’excuse a parfois du bon. Quand la sociologie se met au service du comptoir, c’est toute l’Université qui rachète ses errements. Un sujet aussi central, imbriqué dans notre subconscient, mêlant l’économie à la psychologie, les grands ducs et les bois-sans-soif, le merveilleux et le tragique, nos terroirs et la flambée immobilière parisienne, mérite qu’on s’arrime solidement au zinc et qu’on réfléchisse au destin de ces milliers d’Auvergnats venus faire fortune dans la capitale dès la fin du XIXème siècle.

Un jour, il faudra écrire la mélancolie du percolateur ou le charme discret du tiroir-caisse à la sauce aveyronnaise. Après avoir étudié Le Camembert, mythe français, Pierre Boisard s’attaque à un autre pan de notre identité nationale dans La vie de bistrot aux Presses Universitaires de France. La rencontre entre ce chercheur en sciences humaines et Yves, le patron du Martignac dans le VIIème arrondissement donne naissance à un livre hybride, moitié-essai, moitié-tranches de vie. Le bistrot avec ou sans (t), c’est un lieu de transit, un sas de décompression entre la vie professionnelle et le foyer, entre la hiérarchie tatillonne du bureau et l’intimité obsédante des familles, le seul endroit où l’homme peut laisser au porte-manteau son vague à l’âme sans craindre l’excommunication. Un espace où chacun s’invente une vie et partage le temps d’un repas ou d’une bière, sa solitude ou ses espoirs, ses rires ou ses larmes. Chaque jour, les Français pratiquent cette forme avancée d’humanité que les algorithmes des réseaux sociaux sont encore incapables de retranscrire ou d’imiter. Sans nul doute, une société sans bistrot attesterait la fin de notre civilisation. Avec la faillite des idéologies, la mondialisation triomphante, la religion en cartouchière, l’individualisme forcené, le bistrot semble le dernier refuge où l’autre n’est pas un homme à abattre, où l’étranger a un visage. La liberté de causer ou pas avec son prochain dans un rapport qui n’est pas marchand tient du miracle absolu.

Qu’attend l’UNESCO pour réagir, labéliser, patrimonialiser notre art de vivre ? Pierre Boisard explique que le bistrot, insoumis et réfractaire, ne se laisse enfermer dans aucune frontière sémantique ou statistique. « C’est un établissement où l’on peut boire et manger sans se ruiner, et aux heures creuses, sans trop se presser, dans une ambiance décontractée. Il entre un autre élément dans sa définition, bien plus important mais difficile à définir car immatériel : l’esprit du lieu, parfois sa thématique, l’atmosphère qui y règne – en un mot, l’air qu’on y respire » avance-t-il prudemment comme hypothèse de travail. Une gueule d’atmosphère en somme qui varie selon la situation géographique, la clientèle, l’humeur du patron, l’emplacement de la cuisine, la présence d’un flipper ou d’un baby. L’INSEE ne reconnait officiellement que deux catégories : les restaurants et les débits de boisson. Le bistrot est trop à l’étroit dans ces compartiments-là. Pour saisir l’essence même de ce mythe urbain, Pierre Boisard a poussé la porte du Martignac, près des ministères. Et il s’est trouvé face à un personnage hors norme, grandiloquent et sensible, lucide et enfiévré, un type qui aime son métier et va l’initier aux réalités d’une activité méconnue du grand public. Le bistrot charrie son lot de fantasmes sur l’alcoolisme et les dérives verbales qui en découlent.

Une tirade, comme celle prononcée par Robert Dalban dans Un idiot à Paris (1967) : « Je suis ancien combattant, militant socialiste, et bistrot. C’est dire si, dans ma vie, j’en ai entendu, des conneries ! » ne s’entend pas à tous les coins de rue, malgré sa pertinence et son caractère irréfutable. Yves a connu pas mal de galères avant de s’installer et de trouver l’équilibre professionnel avec Nathalie dans un quartier bourgeois où le brassage social est certainement plus vivace qu’ailleurs ! Entre les livreurs, les fonctionnaires, les cadres supérieurs, les retraités aisés, les étudiants ou les touristes, Yves est le seul capitaine à bord. Celui qui avait la volonté farouche de devenir son propre patron connaît toutes les chausse-trappes du milieu. Son succès, il le doit à son caractère et à sa cuisine maison. Il répète à l’envi qu’il ne suffit pas d’avoir les moyens financiers pour faire marcher une affaire. Le sociologue le suit durant une journée (harassante) et en profite pour conter l’histoire des Auvergnats, jadis porteurs d’eau, de bois et charbon, puis seigneurs du pavé parisien. Leur dureté au mal, leur système d’entraide provinciale et leur prudence proverbiale ont nourri l’imaginaire de nombreux écrivains. Mais tout ne s’explique pas pour que l’alchimie opère. Et si finalement, c’était le patron qui choisissait sa clientèle. Comme en amour, on n’est jamais maître du jeu !

La vie de bistrot, Pierre Boisard, PUF, 2016.

Un commentaire »

  1. Caroline et Leïla, derrière un vieux comptoir,
    Incarnant la patience au fil de tous ces soirs,
    J’ai voulu que vos noms figurent en ce livre
    (Et vous me répondrez que ma plume est donc ivre).

    Qu’elle le soit ou non, je vous célèbre ici :
    Qui aime Valentin aime Bacchus, aussi,
    Et même Gambrinus pour ce qui me concerne,
    Ce dieu qui, chaque jour, louange vous décerne.

    Leïla et Caroline, au nom des commensaux
    Qui aux bonnes boissons chez vous donnent l’assaut,
    Je déclare ceci, dans mes modestes rimes :
    La taverne est pour nous le jardin de l’intime.

    Aux tavernières

    Commentaire par Cochonfucius — 1 octobre, 2017 @ 3:57 | Réponse


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